En Soirée

La Salle était remplie ce soir, comme toujours. Ce restaurant réputé attirait tous les sorciers les plus haut placés de l'Irlande du Nord. On y trouvait des Ministres, des hommes d'affaires, et d'autres personnalités du monde des sorciers.

Assis à sa table habituelle, Alix travaillait. Sa table ronde était couverte de dossier sur les dernières affaires qu'il avait en cours. Son chapeau gris était posé face à lui, sur le dosseir de sa chaise, son manteau. Ses cheveux noirs tombaient devant ses yeux orageux alors qu'il lisait un document relatant le meurtre d'un important président d'une entreprise de chaudron. Toutes ces affaires, ces histoires, après tout, ça tournait toujours autour des mêmes choses, des meurtres, des héritages, jalousie et avarice. C'était très amusant.

Après un faible sourire, il reposa la liasse et rangea ses affaires dans un attaché-case qu'il rangea à ses côtés. Il prit le menu et commença enfin à choisir son repas. Alix ne mangeait pas beaucoup, son corps en témoignait. C'était un homme mince et agile, de petite taille. Ses traits fins, efféminés, avaient toujours cet air las, hautain et arrogant. Il semblait s'amuser de tout, rire de tout, et gardait cette jeunesse fantastique qui ne semblait pas vouloir le quitter. Mais il était jeune, pas encore la trentaine. Un jeune homme brillant, c'est ce qu'on disait de lui. Il était Président de la Justice Magique, et pourtant, ce n'est pas ce qu'il avait visé au départ, mais peu de monde le savait, on n'étaient plus là pour en témoigner.

Au bout d'une poignée de secondes, il opta pour un simple plat chaud et une salade. Le magret de canard ne tarda pas à apparaître devant lui, accompagné d'une assiette de salade et d'une bouteille de vin rouge. Alix commença son repas en silence, seul comme souvent. Et ce n'était pas pour lui déplaire. Autour de lui, le ronronnement des conversations battait son plein, et on entendait parfois quelques exclamations. Un rire, un cri, des sorciers qui se trouvaient autour de lui.

Pratiquement toutes les tables étaient prises ce soir là, comme tous les autres d’ailleurs. Mais heureusement pour la femme qui venait de faire son apparition devant la porte de la sale en question, elle n’était pas là pour trouver une table libre, mais pour trouver un homme. Il ne l’attendait pas spécialement, mais elle savait où le trouver, et elle le cherchait.

Ce n’était pas pour une affaire urgente qu’elle souhaitait le trouver, mais il ne fallait pas non plus qu’elle tarde trop et rien ne valait en discuter autour d’un bon plat. Et pour ça, elle ne connaissait pas meilleur restaurant dans la région.

Enora était vêtue d’une vaste cape noire, assez sombre, qui la rendait méconnaissable. La femme s’approcha de l’homme qui occupait une table seul de son habituelle démarche fluide. Elle connaissait tout le monde ici, et tout le monde la connaissait, mais elle ne voulait pas être vue. En temps que femme du sénateur, il était assez mal vu qu’elle se fasse voir dans les restaurant en compagnie d’un homme qui n’était pas le sénateur McKlinney.

- Monsieur FitzPatrick,... Bonsoir murmura-t-elle en s’installant discrètement à sa table. Elle ne voulait pas être reconnue des autres sorciers présents dans le restaurant, et, ayant été présente à un nombre incalculable de soirées mondaines, mais aussi à des conférences ou toutes sortes de congrès dans lesquels il serait plus que possible de trouver les trois quarts des sorciers présents dans cette salle.

Elle préféra ne pas prendre de risque et se contenter de murmurer. Mais alors, pourquoi était-elle aller lui rendre visite ce soir, dans un endroit si fréquenté ? La réponse était simple, c’était ce soir-là que son époux, le sénateur McKlinney avait été invité, seul, à une soirée. Elle ignorait en quoi consistait cette soirée et s’en fichait éperdument, ce qu’elle voyait, c’était qu’elle était libre ce soir, car bien sûr, monsieur McKlinney n’était pas au courant de ses petites escapades politiques… La plupart jouait en sa faveur mais c’était un homme droit et juste, il prétendait avoir été élu pour son honnêteté et n’était pas un adepte des coutumes de certains politiciens, plus ou moins éthique… Celles auxquelles Enora était une grande adepte, mais c’était pour son bien. Quant au lieu… Elle savait qu’elle trouverait Alix ici, et l’inviter aurait été risqué, ils ne se connaissaient presque pas, pour s’être seulement croisé lors de congrès, mais pas plus que ça, il aurait donc sûrement décliner une quelconque invitation, même de la part de la femme du Sénateur, surtout d’ailleurs.

Une femme entra dans la pièce. Grande et élancée, elle portait une cape sombre qui lui masquait le visage et la rendait méconnaissable. Alix lui jeta seulement un regard avant de continuer son repas. Mais la silhouette s'approchait de lui et ses questionnements trouvèrent réponses lorsqu'elle s'installa à sa table. Il s'agissait d'Enora McKlinney, une belle et grande femme, épouse du Sénateur. Il l'avait déjà croisé de temps à autres lors de congrès importants, notamment sur les relations inter-sorciers. Et avec les évènements de ces derniers mois, il ne serait pas étonnant qu'ils aient à se croiser plus souvent.

- Bonsoir Madame.

Sa voix profonde et douce répondait au murmure d'Enora. La Dame s'installa en face de lui. Alix s'essuya doucement la bouche avec le coin de sa serviette, et leva les yeux sur le visage gracieux, non pas sans caractère, de McKlinney. Que cherchait-elle ? Ils avaient seulement échangé quelques mots, et Alix n'était même pas sûr de son prénom maintenant qu'il y pensait. De plus, si on la voyait en compagnie d'Alix, un homme célibataire, alors que le Sénateur lui-même ne devait sans doute pas être au courant. Oh il ne le connaissait pas vraiment, mais il imaginait clairement sa réaction. Non pas qu'il craigne pour son poste, mais le jeune homme préférait éviter les ennuis.

Néanmoins il ne pouvait cacher une certaine curiosité. Si Enora avait pris un tel risque, venir le voir à l'Ambroisie, alors que quelques personnages présents auraient pu la reconnaître. De plus, Alix mangeait ici presque tous les soirs, elle avait certainement dû se renseigner à son sujet pour pouvoir le trouver sans avoir à l'inviter d'une quelconque façon que ce soit. Intéressant...

FitzPatrick sourit légèrement. Quelques secondes passèrent et une bouteille de Petrus apparut sur la table. Il prit le nectar et en versa un verre pour son invitée, pourrait-il dire. Puis pour lui-même. Ses lèvres trempèrent doucement dans fameux vin, avant qu'il ne commence, de sa voix calme et posé qu'on lui connaissait.

- Que puis-je faire pour votre service Madame McKlinney ?

Autour d'eux, personne ne semblait avoir remarqué l'étrange couple qu'ils formaient. Alix FitzPatrick, homme célibataire, et Enora McKlinney, l'épouse du Sénateur.

Enora s’était installée à la table, et le sorcier qui s’y trouvait n’en semblait pas gêné, a sa réaction assez détendue, madame McKlinney en conclut qu’il l’avait reconnu. Il s’essuya doucement la bouche avec le coin de sa serviette, il ne semblait pas tant surpris que curieux de connaître la raison de sa présence ici, en un lieu si fréquenté, et non accompagnée de son époux. Il l’observa lui servir du nectar et porter son verre à ses lèvres, mais elle se contenta de fixer quelques secondes le verre et de porter à nouveau son regard sur Alix. Lorsqu’il l’appela « Madame McKlinney », elle se retourna, anxieuse, et balaya la salle du regard pour s’apercevoir que personne n’avait entendu, ce qui, apparemment, était le cas.

- Commencez par m’appeler Enora je vous prie, répondit-elle. Non pas qu’elle voulait se améliorer leur relation en utilisant des termes moins conventionnels, mais Enora était un prénom relativement courrant en Irlande du Nord, alors que « McKlinney » était un nom qui avait la propriété d’interpeller beaucoup d’Irlandais.

Elle le dévisagea quelques secondes avant de porter à son tour son verre à ses lèvres, découvrant ses mains couvertes de fins gants noirs, elle dissimula une partie du verre sous sa cape car son visage était toujours caché, et le resterait certainement jusqu’à la fin de leur tête à tête. Puis elle reposa délicatement le verre sur la table.

- Eh bien, vous avez sans doutes eut vent du décès de Monsieur Farrell, reprit-elle en le fixant avec attention.

Peu de monde n’était au courrant du décès de Monsieur Farrell, à vrai dire, seuls les sorciers hautement placés dans les sphères du pouvoir du gouvernement, ce qui était assurément le cas de Monsieur FitzPatrick, en temps que président de la Justice Magique. Peu de gens aussi savaient que monsieur Farrell était un député de l’Alliance Magique Intercontinentale, ce qui signifiait que la place était libre. Bientôt, son décès serait écrit dans tous les journaux, mais en attendant, il était caché, le gouvernement Irlandais essayait d’en tirer profit en le rapportant comme un crime de la part des loups garous en Angleterre (les Irlandais en ont toujours voulu aux loups Garous, n’hésitant pas à les persécuter, ils y sont même interdits de séjour). Mais la véritable raison du décès de Monsieur Farrell était tout autre, un simple arrêt cardiaque, il fallait avouer que c’était un homme très âgé qui avait déjà dépassé la centaine.